- Starshooter - (RockàLyon-story)
Le site : www.starshooter.fr
-Ph

Photos © SD : 1977 à la Cigale (Lyon) / 1979 au Palais d'Hiver.


- Interview de Kent (2002) -
Par Christophe Simplex (parue dans JukeBox Magazine)



Après un quart de siècle de carrière, JBM a rencontré Kent pour une longue interview. Comme à son habitude, le Lyonnais s'y livre sans éluder aucune question, revenant avec plaisir sur ses débuts avec Starshooter jusqu'à son remarquable dernier album en date, 'Cyclone'. L'homme est comme ça, direct et franc du collier, et son regard sans concessions sur le métier apporte une bouffée d'air pur rafraîchissante à l'heure du 'politiquement correct'. Kent détonne et n'en fait qu'à sa tête : tant mieux, c'est comme ça qu'on l'aime ! Mais revenons avec force détails sur vingt cinq années de carrière et de rencontres...

-Jukebox Magazine : ta première incursion discographique remonte à 1977 et le premier single de Starshooter, mais tu avais auparavant maquetté quelques titres avant d'être signé. Te souviens-tu de ces premières séances studio ?

-Kent : Tout à fait, c'était aux studios KCBE-SODER, un studio 2 pistes, mono. On a dû enregistrer 4 ou 5 titres dont 'Made In Factory', première version de 'Inoxydable' en anglais, enfin en yaourt... Tous les titres étaient chantés dans ce sabir. C'est aussi ridicule que des mauvais textes français mais c'est compter sur l'ignorance de ceux qui écoutent. L'important était la sonorité, le message... y'en n'avait pas. Lorsque Pathé s'est intéressé à nous et nous a payé de nouvelles maquettes, on s'est dit qu'il était temps de chanter des choses compréhensibles. En tant que chanteur du groupe, j'ai été désigné d'office pour les textes. Mais les autres les lisaient avant usage et avaient leur mot à dire. Y'a jamais eu d'histoires entre nous à ce sujet. Ces nouvelles maquettes ont d'abord été enregistrées en 16 pistes chez Piazzano, aux studios JBP rue Royale. Mais le son était si médiocre qu'on les a refaites au Studio de Milan, le studio de Gérard Manset. Michel Zacha nous a été présenté à cette occasion par Michel Constantin comme notre éventuel producteur artistique. On ignorait qu'il nous en fallait un. Zacha était un fan invétéré des Beatles. On lui a joué 'Get Baque'. Il a tout de suite compris ce que cela signifiait. On s'est immédiatement entendu.

-Pourquoi avoir réenregistré 'Quelle Crise Baby', face B du premier single, pour l'album ?

-Pour une histoire d'homogénéité sonore avec les autres titres de l'album. Le premier 45 tours avait été enregistré avec des mauvaises guitares et des mauvais amplis. On avait du nouveau matos qui sonnait mieux.

-Ce premier album contient nombre de classiques, mais aussi 'Collector', l'histoire de ce type qui économise l'argent de ses repas pour acheter des disques. Est-ce du vécu ?

-J'ai été collectionneur de vinyls, de BD, de canettes, de rhinocéros... Quand j'ai déménagé pour Paris, j'ai été effaré par la quantité de cartons que mes collections nécessitaient. J'ai pris peur. J'ai trouvé tout ça trop lourd aux sens propre et figuré. Comme une montgolfière dont on largue les amarres pour qu'elle puisse s'envoler, je me suis débarrassé de la quasi totalité de mes collections. J'ai gardé quelques BD, quelques disques clés. Notamment 'Cosmo's Factory' des Creedence, 'Fun House' des Stooges... Ils furent mes premiers électrochocs durables. Ils m'ont donné l'envie de faire du rock. J'ai eu mon premier pick-up en 1969, à 12 ans. J'ai acheté des 45 tours tout d'abord, des trucs de hit-parade &endash;des Johnny bien sûr !-, mais pas beaucoup. Je n'avais pas tellement d'argent de poche.

-Quels furent les premiers concerts auxquels tu as assisté ?

-Mon premier concert fût celui des Pink Floyd au Palais de Sports de Lyon en 1970 ou 1971. J'étais ravi et mal à l'aise à la fois. Je me sentais puceau. Après il y eut Amon Düül, Van der Graaf Generator, Rory Gallagher à la Bourse du Travail... Et puis Roxy Music et le premier concert de Dr. Feelgood à Lyon. On était trente dans la Bourse ! Wilko Johnson et Lee Brilleaux m'ont foutu une claque comme je n'en avais jamais eu en concert. Une simplicité et une classe à la portée de mes finances, si loin du rock ampoulé qui triomphait partout à ce moment-là. J'ai écrit 'Inoxydable' le soir &endash;même en rentrant chez moi.

-Avant 'Inoxydable', quels morceaux jouais-tu ?

-C'est vrai que c'est la première chanson vraiment personnelle que j'ai écrite. Avant ça, je faisais des imitations, je me prenais pour d'autres. Starshooter, en fait, était un sous-groupe au départ. On se cherchait un répertoire original dans le genre rock progressif sous le nom de Protostega Cryptocléidus (!) et pour nous détendre on avait Starshooter et ses reprises de rock à jouer dans les boums et les fêtes de lycée. On reprenait 'Caroline' de Status Quo, 'Oh Les Filles' d'Au Bonheur Des Dames, 'Its Only Rock'n'Roll' des Stones dans une version hyper speed, des titres de Roxy Music, de David Bowie ('Ziggy Stardust')... On glissait quelques titres à nous dans cette veine. Après le 'triomphe' de Starshooter à la fête du lycée Saint-Exupéry en 1975, on a laissé tomber l'expérimentation pour ne faire que du rock pur et dur.

-Comment est venue l'idée de reprendre 'Le Poinçonneur Des Lilas' sur le premier album ?

-L'idée de cette reprise était que la chanson était tellement loin de notre univers que c'était un vrai challenge de se l'accaparer. Le texte plaisait à tous et Gainsbourg aussi. Si on réussissait notre coup, ça risquait de devenir une vraie curiosité. Ce fût le cas. En chanson française, j'écoutais principalement Gainsbourg. Il y avait aussi Dutronc, Nino Ferrer, un peu Polnareff et Christophe, à l'époque des albums 'Les Paradis Perdus' et 'Les Mots Bleus'.

-Quelle histoire se cache derrière la mention 'Get Baque' barrée sur la pochette de l'album ? Peux-tu revenir sur le scandale provoqué par ce titre, sorti peu auparavant comme votre deuxième single ?

-Au moment de la réalisation de la pochette, on savait déjà qu'on ne pourrait mettre le titre dans l'album. C'était une manière de marquer le coup. Pathé distribuait les Beatles. On avait fait 'Get Baque' sans l'autorisation que les Beatles ne nous auraient jamais donné de toute façon, mais avec la complicité de Philippe Constantin, directeur des éditions de la maison à l'époque. Mais Pathé a pris peur et le 45 tours a été retiré du marché auparavant.

-Quelques temps plus tard sort la compilation 'Le Rock D'Ici A L'Olympia' avec une excellente version de '35 Tonnes'. Pourquoi n'y a-t'il jamais eu d'album live de Starshooter ? Parle-nous aussi de la reprise de 'Sweet Jane'.

-Je regrette qu'il n'y ait aucun live de Starshooter. Et il n'existe aucun enregistrement de concert correct, digne de ce nom, du moins à ma connaissance, hormis ce fameux soir à l'Olympia. Tout le concert a été enregistré et il ne tient qu'à EMI de ressortir les bandes et les faire mixer. Je suis certain que Michel Zacha serait partant pour ça. Et moi aussi ! 'Hygiène', qui figure sur la compil' 'Skydog Commando', a été enregistré à Paris par Marc Zermati dans un petit studio 8 pistes. Bien évidemment, nous n'avions pas le droit de le faire à cause du contrat avec Pathé, d'ou le pseudo les Scooters !

-Pour le deuxième album, 'Mode', on note la signature étonnante d'Etienne Roda-Gil pour le titre 'Loukoum Scandale'. Comment s'est passée cette rencontre ?

-Roda-Gil a craqué sur nous dès qu'il nous a entendu. A cette époque (1979), il bossait sur '36', un opéra sur le Front Populaire. Il nous avait demandé de mettre en musique un des ses textes qui mettait en scène des anarchistes, 'Dum-Dum, Blum-Blum'. Mais Jean-Claude Petit, le compositeur de l'oeuvre, n'a pas apprécié du tout qu'il fasse appel à nous. Il nous a viré du projet. Mais la chanson avait été enregistrée, on aimait beaucoup la musique et on voulait la garder pour l'album. Simplement, en ce temps-là, j'étais incapable d'écrire un nouveau texte sur une musique déjà exploitée. Roda-Gil a proposé d'en écrire un autre. Ce fût 'Loukoum Scandale'.

-Comment la regrettée Marie Girard en en est venue à jouer sur 'Starlette' ? Starhooter côtoyait-il d'autres groupes lyonnais à cette époque ?

-Marie débarquait de New York où elle s'était faite virer des sessions de l'album des Garçons. Elle n'était plus à la hauteur de leur virage 100% disco. On trouvait ça dur, alors on lui a demandé de faire la batterie sur cette chanson, un slow léger. C'est ce qu'on appelle de la solidarité. Marie était une grande amie que je connaissais depuis le Lycée... Au sujet des autres groupes lyonnais, oui, on se côtoyait. Le monde musical lyonnais n'était pas si large qu'on puisse s'éviter ! Avec Electric Callas, c'était amour et haine. On partageait des locaux de répétitions, on se prêtait du matos, mais la concurrence était sévère car il n'y avait pas beaucoup de plans pour jouer et pour se faire signer. Cétait au premier arrivé. On se foutait sans arrêt sur la gueule verbalement. Faut dire que Jangil était un cas !

-Dans 'Ma Vie C'Est Du Cinéma', tu fais référence à Eddie Cochran. L'appréciais-tu ? Tu étais énervé alors par les bacs des disquaires remplis d'artistes décédés...

-J'avais découvert Cochran et Gene Vincent quelques années auparavant. J'ai aimé leurs disques, le son des chansons et des guitares, crade chez Cochran et clean chez Vincent. Je ne reproche pas le fait qu'on puisse continuer à se procurer les disques anciens. Je reste agacé par la place accordée à une nostalgie sélective en musique. Ce n'est pas Ferré qui encombre les bacs et les ondes, ce sont ce que l'industrie du disque et les radios à la con appellent les 'Golds'. Des chansons, des artistes tellement rabâchés qu'ils sont vidés de leur sens. C'est pratique, ça évite de faire l'effort de découvrir des nouveaux ou des anciens disques inconnus. On n'écoute plus de la musique, on l'entend !

-Figure également sur ce deuxième album 'Congas Et Maracas', un de tes titres fétiches que tu joues toujours tandis qu'une version de 'Gabrielle' va rester très longtemps dans les tiroirs de Pathé...

Les rythmes africains étaient ce que je trouvais de plus excitant en dehors du rock, bien plus riches même. Le côté hypnotique des thèmes, trois notes en boucle et des ch¦urs scandés, ça me plaît toujours. 'Les Petits Métiers' (titre figurant sur 'Cyclone' NDR) et 'Congas Et Maracas', même combat. C'est la recherche de la transe. 'Congas Et Maracas' est une chanson fétiche car elle m'est venue aussi facilement qu'elle est aisée à jouer : la musique durant un footing au Parc de la Tête d'Or, les mots une heure après sur une serviette en papier dans un bar. J'étais en ligne directe avec l'inspiration. Au sujet de 'Gabrielle', on aimait cette chanson mais je ne trouve pas que notre reprise était réjouissante. Surtout après notre 'PoinçonneurDes Lilas'. Elle n'apportait rien.

-En 1980 sort l'album 'Chez Les Autres' avec le classique 'Louis Louis Louis' qui parle d'un thème, l'aviation, que tu vas revisiter à plusieurs reprises. Une autre chanson, 'Génération Supersonique' est également enregistrée mais n'est pas retenue pour l'album...

-J'ai très peu fait de maquettes d'avions quand j'étais môme, et l'avion était un moyen de transport tout à fait inaccessible pour les finances de ma famille. Il était donc un fantasme de voyage. Le week-end, j'allais parfois avec mes parents à l'aéroport de Bron pour voir décoller et atterrir les avions. J'ai passé mon baptême de l'air à 16 ans, en Allemagne, dans un bi-plan de 1920, la tête à l'air et le coeur aux lèvres dans les piqués. Un grand moment ! Voilà, tout cela a dû jouer dans mon petit inconscient sur ma fascination pour l'aviation. Mais une fascination gentille. J'aime le mot 'avion', j'aime le ciel, j'aime les audaces des pionniers de l'aviation et l'esthétique des appareils à hélices. Mais ce n'est pas une passion dans le sens où je ne lui consacre pas une grande partie de ma vie. Sur le moment, 'Génération Supersonique' ne nous paraissait pas satisfaisante. Avec le recul, je la trouve intéressante. Peut être aurait-il fallu qu'on s'y attarde un peu.

-Comment Starshooter a rencontré Kiki Picasso, auteur de la superbe pochette ? Et qui a eu l'idée du sac et du célèbre slogan 'Le nouveau Starshooter est dans un sac' ?

-En prenant rendez-vous ! On aimait beaucoup son travail au sein de l'équipe Bazooka, et après. On lui a d'abord fait faire la pochette du 45 tours 'Toi, Moi, Nous' pour voir comment il s'en sortirait avec notre univers. Parce qu'il était quand même franchement déjanté ! On n'avait pas trop envie de se retrouver avec des dessins d'appareils orthopédiques ou d'accidentés de la route ! De son côté, il voulait sortir de son ghetto 'arty' et nous étions pour lui une bonne aubaine. Il a également réalisé la vidéo de 'Sale Coup' que je n'ai vue qu'une fois. Le sac, c'est l'idée de Kiki. Je ne sais pas comment ça lui est venu, mais en tout cas c'est une vraie idée très forte.

-Après leur frilosité concernant 'Get Baque', Pathé manque le coche en ne sortant que très tardivement le simple 'Machine A Laver'... Est-ce une des raisons qui a poussé Starshooter à aller voir ailleurs ?

-Bien sûr que cette situation nous a donné l'envie de nous casser de la boîte. Les propositions de Pathé étaient dérisoires par rapport à celles de Virgin ou de CBS. Mais on ne savait pas encore que l'argent ne fait pas le bonheur. La décision entre Virgin et CBS s'est faite presque à pile ou face. Il y a eu une opération de séduction féroce de la part d'Alain Lévy. Il a bien réussi son coup. C'était un bonhomme très intéressant, un peu frappé et véritablement admiratif vis à vis des artistes. Quand il croyait en quelqu'un, il osait prendre des risques insensés. On avait en tête ce qu'il avait fait pour Trust envers et contre tous. On souhaitait qu'il nous arrive la même aubaine.

-Les premiers enregistrements CBS sont l'excellent single 'Quel Bel Avenir' couplé à 'Méfie-Toi Des Avions'. Pourtant il s'agit d'un échec relatif en termes de ventes. La face B aurait semblé être un meilleur choix...

-C'est drôle, je ne me souviens pas qu'il fut question d'échec à ce sujet. Les groupes de rock français de l'époque vendaient peu de 45 tours. Ce format était une carte de visite. C'est encore le cas souvent, notamment en ce qui me concerne ! Ce 45 tours était un test de travail avec Mick Glossop. On n'avait pas en tête de face A ou de face B. D'ailleurs, Patrice Blanc-Francard passait indifféremment l'une ou l'autre chanson sur France-Inter.

-L'ultime album qui suit, l'impeccable 'Pas Fatigué' est un véritable OVNI : nouveau son, nouveaux textes, nouveau producteur... Comment Starshooter en est arrivé là ?

-On avait choisi Glossop pour son travail avec les Ruts et surtout les Skids. Comme nous voulions un changement dans notre son, nous l'avons laissé faire à sa manière le travail d'approche des titres du single. Nous avons suivi scrupuleusement ses conseils et on a aimé le résultat. En discutant avec lui, nous avons ébauché une approche de l'album à venir. On voulait sortir de nos sentiers battus. On a refait toutes les musiques des chansons qui nous semblaient trop convenues. Souvent ce fut carrément de l'impro en studio avec lui. Il était venu en pré-production dans un studio de Villefranche où l'on maquettait. On a énormément répété avec lui. Je pense qu'on aurait pas pu faire cela avec Zacha car nous nous connaissions trop. Il est très difficile de repousser les limites de quelqu'un que tu connais. On se serait défilé en discussion et en pirouette. Je crois d'ailleurs qu'on parle mal anglais a servi à notre discipline. On pouvait pas parler, il n'y avait qu'à faire de la musique ! Quant à la teneur des textes, elle est due à l'expérience de l'âge, aux coups qu'on se prenait sur le moral et non à un changement de méthode de travail.

-Malgré un marketing sans précédent, l'album et la tournée 1982 n'ont pas véritablement fonctionnés. Avec le recul, comment l'explique-tu ?

-C'était une époque en France où le public rock était encore méfiant par rapport au marketing, rétif à la pub. On a cru que les sirènes de la communication rempliraient nos salles et feraient acheter nos disques. On n'en voyait pas les conséquences humaines à long terme. Paradoxalement, je vois cet échec d'un bon ¦il aujourd'hui et je regrette que les choses aient changées. Désormais le panurgisme du public est acquis et ça m'attriste. La communication est plus forte que le libre arbitre.

-Starshooter décide alors un break qui va s'avérer définitif après une dernière tournée des casernes en Allemagne fin 1982. Quels souvenirs gardes-tu de cette période ?

-J'ai deux souvenirs pittoresques de la tournée. Un soir, la scène était les plates-formes de camions militaires côte à côte garés dans un hangar dont le fond était recouvert d'une immense bâche de camouflage. Un décor que n'aurait pas renié les Clash ! Un autre soir, on est sorti boire des coups avec les filles des officiers qui s'ennuyaient à mourir dans leur ville de garnison. C'est la seule virée conviviale qu'on ait eu pendant ces dates. Je ne savais pas encore quand j'allais prendre la décision d'arrêter le groupe mais c'était latent. Ce fut évidemment difficile à vivre mais, comme souvent dans une rupture, j'en ai tiré un immense soulagement.

-Entre-Temps tu pars alors en Afrique, refusant notamment la première partie des Rolling Stones à Lyon. N'as-tu jamais regretté cette décision ?

-Sur le moment, je n'ai pas regretté ma décision. On était fatigué, à bout de nerfs. J'allais grimper dans un avion pour un voyage en Afrique en solitaire dont je rêvais depuis ma première lecture de 'Tintin au Congo'. Je me demandais même si j'allais revenir. Les Stones me paraissaient dérisoires. Rétrospectivement, je peux toujours penser que ça valait le coup de faire leur première partie, mais c'est faire abstraction de mon état mental qui me poussait vers la crise de nerfs.

-Pour clore le chapitre Starshooter, existe-t'il des enregistrements studios inédits ?

-Il n'y a aucune trace des reprises que l'on faisait sur scène, comme 'Une Fille Sauvage', 'Eddie Sois Con', '37e Etage' ou 'Qu'Est-ce Qu'Il Faut Faire ?' Il y a par contre les enregistrements réalisés à Villefranche avant l'album 'Pas Fatigué', avec des chansons totalement inédites, 'Affichage Sauvage', 'Haut Et Bas' et 'Les Bêliers', et des versions totalement différentes d'autres titres. J'ignore qui possède les masters aujourd'hui. Est-ce CBS/Sony ? Est-ce l'ancien proprio du studio de Villefranche ? Dans ce cas, je ferais des pieds et des mains pour les récupérer.

-Viennent alors ton premier single solo 'Partout C'Est La Merde' puis ton premier album, en 1983, qui te voit revenir à la simplicité avec le retour de Zacha. Avais-tu conscience de démarrer réellement ta carrière solo, alors que tu publies également ton premier album de BD ?

-Non, je n'avais pas conscience d'un début de carrière solo. C'était un disque récréatif avec des chansons qui n'allaient pas ou plus pour Starshooter. Je me rappelle que le bassiste s'appelle Cyril Wiet qui a officié au côté de Mr Kuriakin plus tard. Le batteur se nommait Yves Le Rolland qui a été ensuite directeur des programmes musicaux de Radio France à Nantes, puis directeur artistique des Guignols de l'Info sur Canal+. A cette époque, je préférais dessiner chez moi plutôt qu'être en studio ou sur scène. Un besoin de me poser, de vivre tranquille. Ca ne va pas durer longtemps ! Je dessine depuis que je suis tout petit. Les personnages de BD qui m'ont fait rêver son Tintin bien évidemment, Spirou et Fantasio, Astérix, Gaston Lagaffe, Blueberry, Tanguy et Laverdure... Puis ce fut les dessinateurs Moebius, Tardi, Druillet, Gigé et Pratt... La liste est très longue.

-'Malgré le single 'Partout C'Est La Merde' qui fait une jolie carrière radio, l'album ne fonctionne pas. Pourquoi cet album n'a pas été réédité en CD ?

-Sony n'en a rien à péter de rééditer un album qui ne s'est pas vendu. Ils le feront en temps voulu, le jour où je serai numéro 1 du Top des ventes !

-Après 'Tiny Tinto' qui obtient un joli succès d'estime, tu sors en 1984 un nouveau single, 'Tout Petit Doute', qui ne marche pas. Pourtant c'est à cette occasion que tu fais la connaissance de François Bréant, tandis que tu quittes CBS. Pourquoi cette rupture ?

-J'ai rencontré François Bréant parce que j'appréciais beaucoup son boulot avec Lavilliers. J'ai voulu quitter CBS à la suite de ce 45 tours parce que je ne trouvais plus mon compte dans cette boîte. Alain Lévy était parti dans les hautes sphères de Polygram, les gens qui restaient ne comprenaient pas du tout ce que je voulais faire. J'ai demandé qu'on me rende mon contrat. Je crois que ça les a soulagé.

-N'est-ce pas alors le moment le plus noir de ta carrière musicale ?

-C'est effectivement le début de la période la plus difficile à vivre de ma carrière. Je découvrais en allant frapper aux portes des maisons de disques que je n'étais plus un artiste intéressant et que le monde musical était en pleine mutation. On rentrait dans une véritable ère industrielle de la musique. J'ai foncé dans la BD, mais elle aussi connaissait le même sort. Les petits éditeurs faisaient faillite et étaient rachetés par des grosses boîtes, les mensuels disparaissaient les uns après les autres. Un jour, j'ai vu ma photo dans un canard branché qui faisait la liste des has-been du moment. A quoi sert ce genre de papier sinon à en noircir et rendre amer ou malheureux leurs cibles ? Je ne sais pas ce qu'est devenu l'auteur du papier, en tous cas je trouve que je me porte bien pour un has-been !

-Comment en es-tu arrivé à signer chez Barclay en 1985 ?

-Alain Lévy avait beaucoup d'estime pour Philippe Constantin. Il lui a proposé de prendre la direction de Barclay, ce qu'a accepté Constantin qui abandonne alors les éditions Clouseau. Pour moi c'était quitte ou double car si Constantin n'avait pas voulu de moi, je me retrouvais à la fois sans maison de disques et sans éditeur. Il n'a pas voulu m'abandonner, mais je ne suis pas certain que mes errances de l'époque le mettaient en confiance quant à la suite de ma carrière.

-L'album 'Embalao', au format un peu bancal puisqu'entre mini LP et maxi single, sort en fin d'année : il mélange chansons rock et 'africaneries' : quel était ton état d'esprit du moment ?

-Ce qui est bancal, c'est de penser qu'on doit écrire un nombre de chansons en fonction des deux formats proposés alors, le single et le LP. Bref, mon trip à ce moment-là balance entre la chanson française et l'Afrique. Comme la chanson française n'enthousiasme encore personne &endash; elle effrayait même mes collaborateurs les plus proches, hormis Bréant &endash; je me laissais aller vers les rythmes afro. Ce qui était aussi le trip de Constantin qui avait découvert Johnny Clegg en Afrique du Sud quelque temps auparavant. Il me voyait bien en nègre blanc ! J'étais entré en contact avec Paul Weller des Jam quand j'étais encore chez CBS. Son virage Style Council me plaisait beaucoup. Il était venu enregistrer à Paris et découvrait Brel et l'esprit de Saint-Germain. Comme je n'avais plus de musiciens attitrés, je m'étais dit que ce serait formidable de faire un album de chanson française avec le Style Council. Au vu de mes ventes de disques et de les leurs en France, CBS ne trouvait pas le mariage d'une efficacité redoutable et c'est tombé à l'eau. Il est resté 'Un Avion Pour l'Angleterre', chanson écrite avec Paul Weller.

-Cette année-là marque ton retour à la scène qui va s'accentuer en 1986 : ça commençait à te démanger ?

-Après trois ans à dessiner chez moi et à croire que d'hypothétiques tubes radio me combleraient, j'ai flippé. Il me fallait de l'action à nouveau. Le bizness refaisait le monde à l'envers encore une fois. On me disait qu'il fallait d'abord cartonner en radio avec une chanson qui servirait de locomotive à un album. Ensuite la scène viendrait sur un plateau d'argent sans avoir à s'user la santé sur les routes ! Mais je me rendais compte que les artistes d'un tube ne remplissaient pas les salles. Qu'en était-il de moi ? Où en étais-je face au public ? D'où le besoin de refaire surface.

 

-L'année suivante sort ton troisième album solo, 'Le Mur du Son', qui marque le retour de Jello et Juby, et qui comporte des chansons très noires. D'ou vient de coup de 'blues' ?

-En 1985, j'ai perdu un ami intime, Philippe Bernalin, dit Bergouze, avec qui j'ai partagé toute mon aventure 'bande dessinée' depuis le lycée. Un type formidable, d'une bonté inoubliable. 'Rire en Dedans', c'est pour lui. 'Erreur de Jeunesse' m'est venue suite à l'incarcération d'une personne que j'ai connue. C'était un type normal, il allait se marier, pas un marlou. Un soir, il a fait une très grosse connerie sur un coup de sang, rien de prémédité, et il s'est retrouvé en taule au même régime que les pires truands, les pires assassins. C'était facile d'imaginer ce qu'il allait vivre. 'Feux de Bengale' m'a été inspirée par une fille que j'ai connue à Strasbourg, perdue de vue et que j'ai retrouvée quelques années plus tard à Paris. Il y a un rebondissement horrible à cette chanson : cette fille s'est faite renversée par une voiture. Le jour où j'ai appris son décès, j'étais en studio en train d'enregistrer la chanson. Il y est question de chrysanthèmes, il ne s'agissait pas des siennes, c'est un hasard macabre.

-Tu adoptes alors un look 'aviateur', adapté au titre de l'album, tandis que tu t'engages également pour feu TV6 en arborant souvent un tee-shirt 'Nous voulons une chaîne musicale'. T'en souviens-tu ?

-Je me souviens que j'ai milité pour une chaîne musicale et avant cela pour les radios libres au nom de la liberté d'expression. Je ne pouvais pas prévoir le gâchis que ça allait devenir, j'étais naïf et je le suis encore beaucoup. J'aime que les choses changent. Maintenant je trouve qu'il n'y a pas besoin de chaîne musicale à la télé. C'est à toutes les chaînes de programmer plus de musique de tous les genres afin d'éviter un monopole qui fait qu'aujourd'hui, si M6 décide de ne pas passer un clip, on ne le verra nulle part.

-On te retrouve la même année en concert à Bourges, coincé entre Blessed Virgins et Little Bob Story, et au stade Gerland pour la première partie de David Bowie. Quels souvenirs conserve-tu de ces concerts ?

-A Bourges, il s'agissait d'une grosse erreur de programmation que je n'ai pas su refuser tellement il m'était vital d'être sur scène. La première partie de Bowie reste un souvenir extraordinaire. L'avant-veille, je jouais à Vénissieux et je ne savais rien encore. Le samedi matin, je suis réveillé par le téléphone. On me demande si je veux bien faire la première partie de Bowie à Gerland le lendemain. Je crois à une blague et je raccroche. Mes amis savent que je suis fan de ce type. Le téléphone resonne, on m'affirme que ce n'est pas un canular. Mes musiciens étaient dans la nature. En une heure j'ai retrouvé tout le monde et j'ai confirmé que, oui, putain, j'y serai ! Le dimanche à Gerland, pas de balance, 35000 personnes et moi qui commençais mon concert tout seul à la guitare avec 'Pas Fatigué'. Je me suis pris une trouille monstre et 30 secondes avant d'être sur scène je suis tombé sur Thierry Téodori qui avait aidé à ma programmation. Je l'ai traité de tous les noms, ça m'a fait du bien. Il était mort de rire. Une fois sur scène, j'étais prêt à bouffer le stade. J'ai adoré ce concert mais je n'ai pas rencontré Bowie. Ce n'était pas le lieu ni le jour.

-Pour la première fois, tu écris pour d'autres que toi, à savoir Enzo Enzo et Hervé Paul. Qu'est-ce qui t'en a donné l'envie ?

-Dés la fin de Starshooter, j'ai voulu écrire pour d'autres. J'ai fait quelques approches qui n'ont pas eu de suite. Je suis retourné dans ma coquille jusqu'à ce qu'Enzo Enzo me demande des paroles. C'était après le concert à la Cigale avec l'Affaire Louis'Trio et Jean-Charles Daclin. Elle préparait son premier album avec François Bréant. Puis un jour à Paris, j'ai rencontré Jacques Bastello, Bertrand Lamblot et Hervé Paul. Ce dernier travaille dans une maison d'éditions et s'occupe de Jacques avec Bertrand comme manager. Au cours du repas, Bastello et Lamblot m'ont proposé de travailler ensemble : je pourrais faire des textes pour Jacques, il pourrait faire des musiques pour moi, et Bertrand pourrait me manager. Hervé Paul avait dans l'idée de faire un disque et il souhaitait des paroles... On était début 1988, j'habitais encore à Lyon. J'ai tout accepté et je suis venu vivre à Paris dans la foulée.

-La rencontre avec Bastello a-t'elle changé ta méthode de travail ?

-Notre tandem a fonctionné durant 10 ans, sur la musique principalement. Jacques n'intervient pas dans l'écriture de mes textes. Je lui demande des musiques sur des textes orphelins, ou bien il arrange des idées que j'amène. Je lui siffle le début, il me souffle la fin ! Mais je ne sais pas ce qu'il en sera dans l'avenir car il a décidé de reprendre sa carrière de chanteur.

-Barclay tente un ultime coup 'single' avec le titre 'Reste Encore', accompagné d'un superbe clip avec Claire Nebout. Comment ressens-tu cet échec ?

-'Reste Encore' est la première pierre à la collaboration Bastello, Lamblot, Hervé Paul et moi. C'est une très belle chanson que Jacques aurait du chanter. C'est ce que je pense aujourd'hui. Ce fut la dernière tentative avec Barclay pour faire de moi un 'chanteur à singles'.

-L'album 'A Nos Amour', qui sort en 1990, reçoit un accueil très favorable et remporte un joli succès tout comme le simple 'J'Aime Un Pays'. As-tu la sensation alors d'être à un tournant ?

-Durant la période d'errance qui précède, je fais des faux-pas car j'essaie des choses, j'apprends des choses que je mets en pratique parfois maladroitement. Je voulais élargir mes capacités musicales, vocales et d'écriture. Après cet apprentissage venait l'assimilation. J'étais bien entouré en studio, avec des gens en qui j'avais confiance, et je venais de taper du poing sur la table chez Barclay. J'avais retrouvé la patate. Tout ça doit se ressentir dans le disque. C'est pour ça qu'il a accroché. Et puis il y avait à nouveau toute une nouvelle scène crédible, des groupes, des chanteurs qui s'imposaient autrement que par une chanson charmante. De là l'idée d'en inviter certains sur le disque (les Satellites, Arno, les Innocents NDR), histoire de montrer dans quel camp j'étais.

-Pour la tournée qui suit, tu pars en trio acoustique avec Jello et Jean-Marie Gérintès. Cette tournée connaît aussi un réel succès. Comment cette formule a vue le jour ?

-En réalité, je voulais faire une tournée 'A Nos Amours' avec les musiciens de l'album. Mais je revenais trop cher par rapport au monde qu'un ex Starshooter pouvait rameuter en concert. Alors j'ai cassé les prix ! Je suis parti avec le strict minimum convivial. Je ne m'étais jamais produit en acoustique auparavant. Ca me tentait depuis longtemps mais je me demandais si mes chansons et le chanteur tiendraient le choc sans filet. J'avais l'impression d'aller chanter à poil. L'accueil chaleureux que j'ai eu m'a donné la confiance qui m'a toujours fait défaut.

-En bonus à l'album suivant sort un disque qui témoigne de cette tournée. C'est également la dernière fois que tu collabores avec Jello. Que s'est-il passé ?

-Il y a eu rupture. J'avais de plus en plus besoin de diriger ma carrière exactement comme je le voulais. Nous n'étions pas à égalité comme auparavant dans Starshooter. Je crois qu'il ne l'acceptait pas facilement. Il valait mieux arrêter. Il est régisseur de tournée aujourd'hui. Il y a longtemps que je ne l'ai pas vu.

-Entre-temps, tu continues d'écrire pour les autres, en particulier pour Johnny Hallyday, mais aussi pour Zazie. Comment les as-tu rencontrés ?

-Pour Johnny, c'était pendant que j'enregistrais 'Tous Les Hommes'. On m'appelle pour me demander d'écrire un texte pour Johnny, alors que je venais de pondre 'L'Idole Exemplaire' ! J'ai reçu la chanson de Bryan Adams. Je ne peux pas dire qu'elle m'ait enthousiasmé mais écrire pour Johnny était lourdement symbolique pour moi. J'ai fait des paroles qui soi-disant lui plaisaient beaucoup mais il voulait que je change ceci cela. Une fois, deux fois... J'avais toujours affaire au téléphone avec l'homme qui a vu l'homme qui a vu Johnny. J'ai pris la mouche, j'ai demandé de le voir en personne afin qu'il me dise tout de vive voix. La rencontre a eu lieu au studio où il enregistrait. Rien d'inoubliable... Zazie, je l'ai rencontrée dans des fêtes avant qu'elle ne signe. Elle m'a demandé des paroles, je les ai faites !

-En 1991 sort un nouvel album, 'Tous Les Hommes' qui fonctionne également bien. As-tu la sensation d'avoir passé un cap au niveau de l'écriture, alors que tu collabores à nouveau avec Enzo Enzo ?

-Je me sens alors en roue libre, après qu'on ait franchi un col et qu'on descend le nez au vent en reprenant son souffle. 'Tous Les Hommes' est un album avec un concept fort. Je fais enfin de la chanson française telle que je le souhaite, toute en instruments acoustiques. Avec Bastello, on se disait 'ça passe ou ça casse'. Mais on y est allé à fond. Pour cela je voulais un accordéoniste, jeune si possible. J'ai volé Arnaud Méthivier à Marcel Kanche. Je suis allé voir un concert de Marcel que je connaissais qu'en disque et que j'adorais. J'ai vu Arnaud, il était fabuleux et je l'ai engagé. Je connais Enzo depuis Lili Drop. Pour la petite histoire, c'est Zazie qui avait été pressentie en premier pour le duo 'Ni Plus Ni Moins'. Elle s'est désistée et Enzo Enzo l'a remplacée au pied levé.

-Quels souvenirs conserves-tu de la tournée acoustique 1991-1992 qui marche très fort ?

-C'est flou. A partir de là tout se mélange dans ma tête. J'ai tellement tourné que je confonds tout. On me découvrait enfin à travers les médias, ça me paraissait normal, ce n'était que justice. Comme s'il y en avait une dans ce milieu... Les salles de concert se remplissaient enfin, ce n'était que justice aussi. Je prenais de l'assurance sur scène sans avoir besoin de me battre pour me faire entendre, et c'était bon. J'étais sur une scène et non plus sur un ring.

-En souvenir d'une série de concerts au Café de la Danse, Télérama sort un mini CD en public. L'idée de sortir un album live complet ne t'a t'elle pas effleurée à l'époque ?

-Bien sûr ! Mais là on se heurte à la logique du marché musical qui se base sur des études et des constats de généralité. En clair, on sort un live après le succès d'un album studio. A cette époque chez Barclay, il y avait quelqu'un qui a bien voulu laisser enregistrer le Café de la Danse pour avoir de l'archive. C'est le même qui avait laissé faire 'Récital 90'. Ce genre d'aberrations artistiques est aujourd'hui tout à fait impossible dans une major. Je voulais rester plus de deux semaines au Café de la Danse, créer un événement sur la durée. Pour cela il fallait que Barclay aide financièrement. Ils l'ont fait à moitié. Le boss de Barclay du moment, Pascal Nègre, ne croyait pas à ce genre de 'promotion'. Or il est venu à l'avant-dernière et est tombé sur le cul en voyant ce qui se passait. Il a demandé qu'on rallonge la durée mais c'était trop tard, la salle était prise pour les semaines à venir.

-En 1993 sort 'D'Un Autre Occident' qui est parsemé d'interludes poétiques. Comment t'es venue cette idée ? Et comment as-tu vécu le succès de 'Allons Z'A La Campagne' morceau plus facile d'accès que les autres ?

-J'étais boulimique de poésie à ce moment-là. J'avais toujours plusieurs recueils sur moi, et en studio aussi. J'ai eu envie de rendre hommage à ma nourriture de l'esprit. Pour 'Allons Z'A La Campagne', c'était beaucoup plus frustrant de vois que Barclay n'assumait nullement cette chanson. Ils en avaient quasiment honte. Trop populaire, pas branchée pour un rond... Dans ce pays, on se plaint que la gaudriole est l'apanage des cons mais on ne laisse pas des plus malins s'en mêler.

-Comment as-tu rencontré William Sheller qui collabore sur cet album ?

-Je l'avais rencontré longtemps auparavant, dans les années 80 alors qu'il produisait des chansons de Marie Girard (ex Marie et les Garçons) qui n'ont jamais vues le jour. J'aimais déjà beaucoup ce qu'il faisait. Et puis il y a eu sa période 'quatuor' et la découverte de ses talents d'arrangeur. C'est un franc-tireur qui ne fait que ce qui lui plaît et qui aime le mélange des genres. Je l'ai appelé pour arranger deux chansons et il a accepté sans hésiter.

-Sur cet album figure 'Montée Bonafous' qui est un hommage nostalgique à Lyon...

-Cette chanson paraît nostalgique, mais il est plus question de la défense de l'âme d'une ville, ce qui est l'affaire des citadins, face à des projets d'urbanisme qui ne tiennent aucunement compte de la vie de ces mêmes citadins. Par exemple, raser une maison viable pour la remplacer par un parking relève de la nostalgie rétrograde d'urbanistes incapables d'imaginer un avenir qui se démarquerait d'un présent dépassé.

-1994 est l'année ou tu refoules les planches de l'Olympia, 16 ans après Starshooter. As-tu été plus ému cette fois-ci ?

-Oui bien sûr. Je revenais avec un vrai respect pour les chanteurs qui en avaient édifié la légende et non comme un post-ado turbulent qui voulait marquer son territoire avec violence.

-Cette même année tu écris et composes 'Juste Quelqu'Un De Bien', chanson qui va te faire passer un nouveau palier. Quelle est l'histoire de ce titre que tu ne destinais pas spécialement à Enzo Enzo ?

-On me demande souvent de raconter l'histoire de cette chanson, mais je n'en ai pas. On ne sait pas, à quelques illuminations près, ce que va devenir une chanson. Je me rappelle parfaitement la genèse de certaines chansons qui n'intéressent personne parce qu'elles sont liées à des instants remarquables : nées en haut d'une montagne, au milieu d'un rêve ébloui ou à cause d'un petit roumain rigolard... Ce n'est pas le cas de celle-ci. C'était une chanson parmi tant d'autres avant qu'elle ne fasse parler d'elle.

-En fin d'année tu rejoues à Paris, à la Cigale, pour des concerts enregistrés. Qu'est-ce qui t'a décidé à sortir ton 'véritable' premier album en public ?

-J'ai toujours préféré mes chansons sur scène qu'en studio. L'année 1994 avait été bonne, commercialement parlant, de l'avis de Barclay. C'était le bon moment pour un 'live'. Selon les statistiques, les ventes d'un 'live' représentent un tiers des ventes de l'album studio qui l'a précédé. Hé ! Hé ! C'est un des disques que j'ai le plus vendu. L'exception culturelle, sans doute...

-Est-ce que c'est le duo avec Enzo Enzo pour 'Juste Quelqu'Un De Bien' qui a fait germer l'idée d'un spectacle commun ?

-Non, c'est une idée d'Enzo Enzo qu'elle m'a proposé plusieurs mois auparavant, bien avant que le titre marche. Ce qui explique que si peu de dates furent signées pour ce spectacle. Personne n'imaginait ce qui allait se passer. Nos emplois du temps nous ont coincés.

-Ton année 1995 est bien chargée avec en premier lieu la Victoire de la Musique pour 'Juste Quelqu'Un De Bien'. Comment as-tu ressenti cet événement ?

-C'est avant tout la Victoire de la chanson interprétée par Enzo Enzo. C'est elle qui a pris l'initiative de la partager publiquement avec moi. Un interprète qui partage son prix avec l'auteur, ça ne s'était jamais vu auparavant. C'est donc une Victoire par procuration. Enzo Enzo fut aussi couronnée Artiste Féminine de l'année. Je me sentais plus comme un chevalier servant que comme un lauréat. Tout est passé très vite. Tout le monde nous a adoré quelques semaines et puis tout le monde est passé à autre chose. Quand on est extérieur à l'événement, on voit bien que c'est rapide et assez vain. Mais dés qu'on est pris dans le tourbillon, on ne peut s'empêcher de souhaiter que ça dure. Je craignais tellement que cela s'arrête trop vite que je n'ai pas su goûter pleinement les joies que cela m'apportait. Je ferais attention la prochaine fois ! Sinon, mon téléphone n'a pas plus sonné qu'auparavant. La chanson était trop particulière, trop typée, pour que mon écriture s'adapte à n'importe qui. Ca devait se sentir... Cela dit, à cette époque j'ai écrit pas mal pour des projets qui n'ont jamais vu le jour.

-A ce sujet tu écris à nouveau pour Buccolo et Hervé Paul, et plus surprenant pour Dick Rivers et Michel Fugain. Comment se sont passées ces rencontres ?

-Il n'y a pas eu de rencontre avec Dick Rivers. Peter Kingsbery lui avait donné une chanson qui avait déjà un texte en anglais. Et Peter souhaitait que ce soit moi qui en fasse l'adaptation. Quant à Fugain, travailler ensemble était un vrai désir de sa part. On s'est rencontré, on s'est jaugé, on s'est plu. J'étais flatté qu'un gars comme lui fasse appel à moi, tout clivage musical mis à part.

-Autre collaboration, celle avec les Nits que tu sembles toujours avoir apprécié...

-J'ai souvent croisé les Nits et j'ai même émis l'idée, au moment de l'album 'Un Autre Occident', de faire le disque avec eux. Pour des problèmes d'agenda, ça n'a pas cadré. Je crois que c'est Bernard Batzen qui leur a suggéré l'idée du duo pour la sortie de leur 'Best Of'. Ils m'ont laissé la traduction des textes. On a enregistré 'Avec Une Aile Cassée', 'Adieu Sweet Banhof' et une troisième, 'Fausse Route', qui n'est pas sortie et qui reste ma préférée.

-Tu as déclaré à cette époque ne plus vouloir te disperser à l'avenir. Regrettais-tu alors quelques collaborations passées ?

-Oui et non. Je me sens à nouveau prêt à écrire pour des gens extrêmement enthousiastes qui m'apporteront des expériences inédites. Ce qui limite pas mal les occasions. Je ne regrette rien de ce que j'ai fait auparavant, bien que certaines rencontres ne furent pas d'un grand intérêt.

-En 1995 débutent les premiers co-récitals avec Enzo-Enzo, à son initiative donc...

-Effectivement, partager une scène avec des musiciens communs et partager aussi des chansons était une idée d'Enzo Enzo. Aux répétitions on a multiplié les duos. Chanter à deux nous grisait. Il est très vite devenu frustrant de s'en tenir à cette mini-tournée. L'envie d'un spectacle original ensemble est née de cette frustration. Seulement, les emplois du temps artistiques de chacun nous obligèrent à retarder le projet.

-L'année suivante, on te retrouve à l'affiche de 'Un Samedi Sur La Terre', à ce jour ton unique apparition dans un long métrage. Comment t'es tu retrouvé dans ce film ?

-Un agent de cinéma s'est intéressé à moi à cette époque. J'ai passé un essai pour le tournage et on m'a pris. J'aimerais refaire l'acteur, c'est sûr, mais les places sont chères et je ne suis qu'un chanteur dans une file d'attente de comédiens.

-Un nouvel album sort, le bien nommé 'Nouba', avec le tandem Froom/Blake à la production, qui te voit inclure des influences orientales....

-Mitchell Froom et Tchad Blake réalisaient tous les disques qui me plaisaient. J'entendais quelque chose qui me branchait et paf ! Ils étaient dans les crédits de la pochette. A ce moment, il était intéressant pour moi de sortir des productions franco-françaises. Je me suis tourné naturellement vers eux. Ils étaient les seuls anglo-saxons avec qui je souhaitais travailler. A l'écoute de mes chansons, ils ont accepté spontanément de me produire. Être en studio avec eux est un vrai bonheur. Ils travaillent vite et dans l'enthousiasme. Ils cherchent à piéger la meilleure ambiance 'live' pour chaque chanson afin d'avoir une vision d'ensemble immédiate. Ils ne tergiversent pas. Les influences orientales me viennent du quartier de Paris dans lequel je vivais, le 11e arrondissement, tout près de Belleville. J'allais dans un restaurant berbère où le patron me faisait des cassettes à écouter. Le mariage des deux genres vient de là. J'ai invité Rachid Taha à traduire et chanter un passage de 'La Haine Est Là' parce que j'aime sa musique et ses prises de position ' politiques'. La chanson lui allait bien.

-L'année 1997 te voit fêter tes 20 ans de carrière aux Francofolies. Qui a eu l'idée de cet anniversaire ?

-Moi. J'étais le seul à savoir que j'en étais à 20 années de carrière ! En vérité, les Francofolies m'ont proposé une fête sur la grande scène sans savoir que c'était une date anniversaire pour moi. C'est bien tombé.

-Une année plus tard sort l'album 'Métropolitain' qui reste un véritable OVNI dans ta discographie. Quelle est l'histoire de ce disque ?

-Je voulais toucher en studio aux musiques électroniques parce que ce courant m'intéresse. Mon image de chanteur français 'acoustico-flonflon' était trop limitative. Comme souvent, une image est déjà la caricature de l'individu. On me parlait sans arrêt de Prévert et Brassens, jamais de Underworld ou Proppelerheads. Ou alors pour que je m'en moque. J'ai fait ce disque en une semaine parce que mon budget était limité &endash;Barclay trouvait le projet casse-gueule- et aussi parce que j'enchaînais avec l'écriture et la création du spectacle avec Enzo Enzo. Un vrai grand écart entre jungle et music-hall ! J'ai aussi refusé toute promotion afin que l'objet reste un mystère. Il dévoilait une part d'ombre de ma personne qui ne se marie pas avec les projecteurs. On a cru alors que je reniais ce disque, c'est faux. Au niveau des textes, c'est du brut sans retouches. C'est vrai que ce disque aurait dû s'appeler tout simplement 'Métropolitain' par honnêteté pour les autres personnes du projet : Jacques Bastello, Lionel Dussauchoy, Christian Lacrampe et François Bréant. Barclay voulait 'Kent' en visible sur la pochette afin qu'on le trouve plus facilement dans les magasins. C'est une grosse erreur que je regrette et qui a nuit à l'autonomie de ce disque.

-Toujours en 1998 démarre le spectacle 'Enfin Seuls !' avec Enzo Enzo : te doutais-tu du succès à venir ?

-Je l'espérais tout en me préparant au pire. Ce qui est une bonne manière de ne pas tomber de haut. C'était tout de même un spectacle franchement décalé.

-L'album qui suit ne comporte que des compositions originales, souvent cosignées par François Bréant, excepté une reprise d'Aznavour. Comment s'est passé cette collaboration ?

Toutes les chansons ont été écrites avant le spectacle et en fonction de celui-ci. C'est un travail commun de Bréant, Enzo Enzo et mézigue. Rien n'était laissé au hasard. On a répété des heures nos parties de danse, les harmonies vocales, chaque déplacement sur scène. J'aime beaucoup bosser avec Bréant. C'est un véritable orfèvre de l'arrangement. Son travail n'autorise aucune fausse note. C'est contraignant mais enrichissant et gratifiant. La reprise d'Aznavour date du co-récital de 1995. C'est notre mascotte.

-As-tu eu alors l'impression de toucher un nouveau public avec ce spectacle ?

-Oui, j'ai touché un autre public, plus familial, plus 'grand public'. Des gens qui ne seraient pas sortis me voir en tant que Kent tout seul. Cela dit, ils n'ont découvert que le rôle que je me donnais. Pour cette raison-là aussi, j'ai désorienté quelques aficionados. Mais je n'allais pas me priver d'une expérience passionnante pour autant !

-Des aficionados qui ont du apprécier 'Cyclone', dernier album en date, avec un retour prononcé à l'électricité...

-Quand 'Enfin Seuls !' s'est mis à tourner, je ne voyais pas ce que je pourrais faire par la suite. Je n'y pensais même plus. J'étais complètement dans le spectacle qui demandait beaucoup d'énergie et d'attention. Puis, l'aisance aidant, mon esprit s'est un peu libéré. Et plus on faisait des concerts, plus je me disais que pour la suite, un retour à la simplicité était la meilleure façon de rebondir. J'étais à un degré de sophistication tel que passer à un niveau supérieur nécessitait des moyens et des artifices toujours plus importants qui m'éloigneraient encore du public. J'ai eu envie de spontanéité, d'imprévu, d'immédiateté. C'est ainsi que s'est monté le 'Circuit Electrique' dans des salles rock et des clubs, dans la foulée du spectacle. L'idée d'un disque brut, sans fioritures, faisait son chemin. Le retour à l'électricité, tant d'années après Starshooter me semblait quelque chose d'inédit, en tout cas enthousiasmant. J'ai redécouvert la joie des formules légères qui restent un luxe musical. C'est du tout-terrain. Ca oblige chacun à être bon car chacun est mis en avant dans son rôle. Et d'une certaine manière, il y a plus de place pour l'invention et l'originalité. En ce moment j'ai laissé tomber le 'tout électrique' mais je garde l'idée du combo...

-Quel futur immédiat pour Kent ?

-J'aimerais mettre en pratique mon désir d'indépendance artistique pour mon prochain disque. C'est du travail !

 

Christophe Simplex (© 02/2002)


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