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Best :
Wight '69


Les photos et la mise en page ne présentant guère d'intérêt (c'était très irrégulier à Best...) on vous livre plutôt le texte lui-même pour cet article (ce sera plus facile à lire). On n'a pas retouché (nos bêtises d'époque sont toujours là).

"Help Bob Dylan.." (On se demande qui avait trouvé ce titre d'ailleurs, pas nous !)

  Des hippies... partout : la route de Londres à Portsmouth en était jalonnée. (N.B.: C'est une indication assez sûre si vous vous rendez à un Festival "Pop" : quand vous ne voyez plus de "hippies stoppeurs", alors vous avez perdu votre route). A l'embarcadère, il en était de même, mais les "British Railways" avaient bien fait les choses : un ferry toutes les demi-heures. Pas question toutefois de passer une voiture sans réservation car tout était loué jusqu'au mercredi suivant. Certains groupes ont même eu quelques difficultés pour leurs traversées de matériel.  
Peu d'attente donc en ce vendredi soir. La mer est calme comme ces pèlerins qu'elle porte par milliers. Les insulaires et autres indigènes semblent quand même un peu bousculés, mais plus encore moralement que physiquement sans doute. La plupart s'en accommoderont assez bien par la suite (surtout les commerçants !), tandis que les résidents (l'île de Wight, c'est un peu le mélange d'une Corse et d'une Côte d'Azur pour l'Angleterre... au climat près) resteront généralement terrés dans leurs luxueux hôtels ou propriétés. Mais personne n'est censé méconnaître l'importance de l'invasion : après la télé nationale qui en a donné un aperçu, la chaîne régionale vient encore de montrer longuement ces hordes abordant l'île, qu'on croyait barbares et qu'on découvre plutôt mystiques. 
"Help Bob Dylan sink the Isle of Wight" (aidez Bob Dylan à faire couler l'île de Wight). Le slogan a créé cette formidable induction dont les lignes convergent de tous les azimuts: des quatre (?) coins des lles Britanniques, bien sûr, mais aussi des U.S.A., de Suède et autres pays scandinaves, des Pays Bas, d'Allemagne, etc. Les Français sont beaucoup moins nombreux — proportionnellement — qu'au Festival de Plumpton... Il y en a cependant pas mal.
Des cars prennent le relais des bateaux (les tarifs sont assez modiques: on se rattrape sur la quantité !) mais ils vous laissent encore à quelque chose comme un mile du site du Festival. Sur le chemin caillouteux qu'enveloppe la nuit profonde nous parviennent déjà avec le vent des bribes d'amplification (beaucoup de journaux ayant déjà traités de cette puissante amplification, je n'y reviendrai que pour signaler qu'elle avait été spécialement construite par XXX). Cela se précise bientôt et on reconnaît le son hilare du "Bonzo Dog Band". Malgré les difficultés de la marche sous le poids des sacs, certains rigolent déjà à l'audition des pitreries des Bonzos ; celles-ci sont accompagnées généralement d'une musique de rock and roll très 1956 et plutôt satirique (Viv Stanshall débute avec "Blue Suede Shoes", on se moque de ce qu'on aime, non ?). Leur set est presque terminé quand nous arrivons et c'est, avec sensiblement le même show paraît-il (mais on ne s'en lasse pas si vite), le même succès qu'au "Neuvième National Blues, Jazz and Pop Festival" de Plumpton.
Notons qu'ici l'affiche est plus simple : "Second Isle of Wight Festival of Music", cela correspond mieux à cette réalité actuelle qui évite de s'encombrer de classifications. Les comparaisons entre ces deux grands festivals du mois d'août anglais sont inévitables, mais les démesures du second ont tendance cette année à écraser le premier, d'esprit très différent et plus traditionnel: A Plumpton, à minuit — dernier délai — tout était terminé. Ici, si un groupe plaît, le présentateur demande au public de le rappeler (et ce public sera vraiment bon enfant avec tout le monde !) et on remet ça ! Ainsi la soirée du samedi se terminera vers 2 ou 3 heures du matin. 
Mais nous ne sommes que vendredi et les Nice rentrent en scène, sans le grand orchestre qui avait été le "clou" du Festival précité, mais qui avait tendance a alourdir leur spectacle, surtout par insuffisance de mise au point. Des nouveaux titres d'abord: la "Pathétique" de Tchaïkovsky et “Hang on to a dream”, de Tim Hardin, avec Keith Emerson remarquable au piano ; Keith qui s'écartèle par la suite entre deux orgues. “She belongs to me”, d'un certain Dylan, "Rondo 69”, nouvelle version figurant sur leur récent 33t. Les Nice jouent vraiment magnifiquement ce soir et le public leur en sera reconnaissant. “America” en rappel.

SAMEDI
  La nuit a été fraîche mais ceux qui n'avaient pas prévu peuvent encore acheter, contre quelques shillings, quelques "pieds" de plastique pour s'enrouler dedans ou se construire une tente de fortune. Ces abris occasionnels parasitent notamment autour des grands chapiteaux du "Village ", profitant de leurs cordes ! Ce Village s'éveille progressivement tandis que déjà certains font la queue devant l'entrée principale... ; et vers 10 heures, quand les guichets ouvriront (à signaler le prix global: 35 francs dévalués pour les 3 jours) ils traverseront le champ à la course avec tout leur "barda" pour avoir une bonne place devant la scène ou du moins derrière l'enceinte où gravitent journalistes et autres artistes... D'autres, que la fraîcheur ou la musique de quelque flageolet avait tenu éveillé, profitent de la matinée pour récupérer.. Les boutiques de disques, de posters, de revues, de colifichets divers sont assaillies, mais les plus longues files d'attente sont celles qui mènent... aux toilettes mobiles : des files "sages" où l'on attend son tour sans chercher à passer devant son voisin (difficile à comprendre pour un Français, n'est-ce pas ?).  
Le spectacle débute dès 15 heures avec "Gypsy” : intéressant, "Blonde on Blonde": en baisse, puis "Blodwyn Pig", percutant et très musical tout à la fois. Mais c'est avec Edgar Broughton que les choses se précisent et que le climat monte (il fait d'ailleurs assez chaud à présent). Son style aux riffs très obsessionnels semble porter sur le public qui lui fait un triomphe (il aura droit à peut-être une heure de supplément). "Demons out". Une fille se déshabille et vient danser (nue, par conséquent) devant les photographes... qui s'en donnent à cœur-joie. "The People" et "News of the World», chefs de file de la presse à scandales britanniques auront de quoi se mettre sous la dent pour demain dimanche. L'imposant présentateur au chapeau, Rickki Farr, qui orchestre l'ensemble avec un minimum de fausses notes, demande à Jeff Dexter —frêle disc jockey aux paroles emmêlées (les hippies ont des critères particuliers pour promouvoir leur personnel) officiant habituellement au Middle Earth- de passer quelques disques pour faire baisser la tension. Mais ce n'est certes pas ce qui se produit avec le "Honky Tonk Women" des Stones car chaque fois qu'arrive son rythme syncopé la foule est soulevée et se met à danser ! Puis c'est Marsha Hunt qui remobilise les photographes. Des versions de "Sympathy for the Devil", "My world is empty without you", "Wild thing"... et un jeu de scène très souple !
Les Who, qui viennent de faire une arrivée remarquée en hélicoptère, dans un grand tourbillon de poussière, sont déjà sur scène. Keith Moon peut jouer grâce à quelques piqûres car il s'est fracturé le pied récemment en tombant dans un  escalier (?) et le groupe a dû annuler certains de ses contrats. Pete Towshend, dans une combinaison blanche, fait penser à un aviateur (il est vrai qu'il plane énormément). L'aigle dans le dos de John Entwistle n'est pas pour rassurer quant à son air déjà peu "commode". La "violence" de Roger Daltrey est plus exprimée :  il fait voler et son micro ("à la Johnny", pour ceux qui ne verraient pas bien), et les franges de son costume de cuir (même adresse que l'ensemble — réduit — de Marsha Hunt). Bref, il faut le dire, le show des Who est maintenant une véritable merveille à tout point de vue, et ce fut un des plus grands moments de ce Festival comme à celui de Plumpton. "I can't explain", "Fortune teller", "Young man blues" en hommage à Mose Allison, et avec un splendide solo de Pete ; puis de longs extraits de cet "opéra" si subtil qu'est "Tommy". L'entendre sur scène lui donne un nouveau relief, et on redécouvre ensuite le double-album avec plus de joie encore. Et les "morceaux-chocs" pour finir: du rock comme les Who et nous-mêmes l'aimons toujours avec "Summertime Blues", leur "My Generation" (agréable surprise) et l'envoûtant "Shakin' all over" de feu-Johnny Kidd.  
Fat Mattress ne fut pas la révélation espérée (espérée ou non). La "Les Paul" de Noël Redding (cadeau de Mitch Mitchell) était très mal réglée semble-t-il ce jour là. Je les avais vus au début de la semaine au Marquee et le groupe avait eu beaucoup plus d'impact. Cela n'empêcha pas Jane Fonda de s'entretenir longuement avec l'ancien bassiste de l'Experience ("La belle et la bête"?). Ne soyons pas "mauvaises langues", au point de supposer qu'on lui avait recommandé le "Gros Matelas" comme le dernier groupe, le plus "in". Non. D'ailleurs les Vadim furent charmants et parurent intéressés tout au long du Festival, ce qui peut les distinguer d'autres "personnalités" ne s'étant pointées que pour le passage de Dylan. Autres "présences" de consonances françaises (et sans allusion avec ma dernière remarque. N.B.): Françoise Hardy avec Moustaki, et même France Gall, sans parler des journalistes bien sûr. 
 Les Moodie Blues, malgré la qualité et la fidélité de leurs interprétations, n'obtinrent pas davantage que Fat Mattress un réel contact avec le public. Ils eurent aussi quelques ennuis de matériel (mélotron distordant). Annette Brox se joint à son mari Victor, chanteur du groupe de Aynsley Dunbar pour un duo vocal qui fut très apprécié.
La musique — et l'attitude aussi— des Pretty Things sont plus underground que jamais (si cela veut encore dire quelque chose). Eux aussi pratiquent le "riff", mais ils mettent quelque chose dessus, Dick Taylor vient jouer dans "Revolution" (rien à voir avec les Beatles, ce morceau étant antérieur à toutes leurs révolutions numérotées), mais l'arrivée de membres de Fat Mattress, venus innocemment pour jammer, rompt le climat. Joe Cocker n'a rien perdu de sa "soul", mais le genre est peut-être en baisse de popularité car depuis le "Dear Landlord" de Dylan jusqu'à l'inévitable "With a little help from my friends", il ne retrouve pas la même emprise que — par exemple — à Sunbury l'an passé. Autre climat avec la magie de Family, qui termine le programme. Des nouvelles chansons mais toujours aussi celles de l'album "Family Entertaiment" comme "The weaver's answer" ou "Observations from a hill". Family est un groupe qu'on apprécie peu "du premier coup". Il faut au moins connaître leurs chansons et si possible les voir plusieurs fois sur scène. Tout devient alors plus clair.

DIMANCHE
  Une machine à fabriquer de la mousse donna lieu le dimanche matin à divers débats plus ou moins enfantins (voir gamine adorable au cordon dans les cheveux qui eut droit à la couverture de "Paris-Match") ou à des happenings moins innocents (couple faisant l'amour dans la mousse). Le spectacle débuta encore peu après-midi avec "Liverpool Scene" interprétant des sortes de pots-pourris rock (les adversaires intercaleraient un "très", dans cette dernière expression, tandis que les amateurs vous parleraient d'une poésie qui m'aura échappé). Suivent "Third Ear Band", puis "Indo Jazz Fusion". Le climat oriental qui pèse sur l'assistance est maintenant le fait de la musique autant que des lourds parfums d'encens et de haschisch qui planent toujours au-dessus du champ.
Du folk ensuite, dans ce programme assez savamment réparti, avec Gary Farr (frère du présentateur) : c'est agréable et intelligent, puis avec Tom Paxton qui fait un véritable triomphe, assez inattendu, en chantant les "Marines" au Vietnam ("Talking Vietnam Pot Luck Blues") ou d'autres façons de mourir des Américains ("Forest Lawn") Tom Paxton est sincèrement ému d'une telle ovation en Angleterre.
Passage troublé pour Pentangle, dont l'audition mérite du silence pourtant: Un avion vient ronfler à basse altitude et les Stones Keith, Charlie and Bill trouvent moyen d'arriver, au beau milieu de "Bruton Town", d'où une certaine panique d'appareils photographiques!
Julie Felix eut également sa tranche de succès de la part d'un public toujours gentil auquel elle offrit en récompense une chanson très maternelle: "Going to the Zoo"... Richie Havens reçut également un accueil enthousiaste, largement mérité par l'intensité de ses interprétations de ses propres chansons ou de celles des autres comme "Maggie's farm" et "Strawberry Fields forever".  
Après des instants de semi panique devant et derrière la scène à cause du trop grand nombre de journalistes et autres "invités" qu'on n'arrivait pas à faire tenir dans l'enceinte réservée, le spectacle put enfin reprendre après 22 heures avec The Band, l'orchestre de Dylan. Très fidèles au disque, comme les Moodie Blues, malgré la complexité — vocalement surtout— de leur musique. Tous sont de très bons musiciens dans des styles assez singulièrement différents des instrumentalistes "pop" que nous connaissons bien. Les chansons appartiennent pour la plupart à ce fameux 33 tours de "Big Pink" (non paru en France: une honte !) ; quelques classiques de country-and western aussi.

DYLAN
  Enfin, vers 23 heures, un sixième membre se joint au groupe et entame "She belongs to me". Ce fut alors, pour ces quelques deux cent mille hippies, la redécouverte progressive d'un de leur héros. Car il a beaucoup changé: — d'apparence d'abord : costume blanc assez ample, chemise ouverte, barbe éparse, — de style ensuite, et surtout; la voix plus étendue, plus souple et mélodieuse a perdu ses accents nasillards d'âpreté et d'ironie continuelle, la musique est d'une électrification moins "agressive" disons (car l'accordéon dans "I pity the poor immigrant" était électrifié aussi !). Le rebelle n'est plus semble-t-il, il aurait cédé le pas au père de famille (4 enfants) heureux de la vie.
Le monde juge de la métamorphose par les yeux et les oreilles de ceux qui sont là : du plus "humble" hippie perdu dans le champ au milieu des 199.999 autres, jusqu'à tous, artistes, qui sont un peu tous les disciples de Dylan... Même les Beatles, dont la sérénité au demeurant reste fort troublée par les photographes insatiables (quelle vie !). Blind Faith est là aussi. Julie Driscoll, coincée près de moi et dans la même position inconfortable due à la foule trop entassée, paraît oublier cet inconvénient mineur, toute absorbée qu'elle est par la présence de ce "maître". Elle semble boire ses paroles, se délecter de son feeling, et son visage si fin oscille à peine au rythme de la musique.
Parce qu'il vit vraiment ce rythme, le créateur de "Wheels on fire" "berce" parfois sa guitare en un geste d'une élégance touchante. Entre les chansons, pas de mots inutiles, juste de brefs remerciements et quelques sourires, un peu contractés au début car l'idole des idoles est restée très timide. Il chante quatre chansons sans accompagnement de l'orchestre : c'est un retour à une certaine simplicité par le langage de cette musique country à laquelle il insuffle aujourd'hui une nouvelle vigueur. "I threw it all away",  "Maggie's farm", "Wild mountain Thyme", (folklore irlandais), "To Ramona ", "Mr. Tambourine Man" (un des meilleurs moments, des plus émouvants en tous cas). La plupart de ses interprétations, musicalement parfaites, sont fondamentalement différentes des originales, mais dans certains cas on peut objecter qu'un répertoire neuf serait peut-être préférable. Ainsi "Like a rolling stone", "It ain't me babe" ou "Rainy day women" semblent perdre leur cachet en s'adoucissant, leur raison d'être même ; l'acidité d'antan manque alors à l'œuvre. Un seul vrai nouveau titre sur les dix-sept interprétés: "Who's gonna throw that..." (?: les avis divergent sur la suite, devant l'absence de déclaration officielle).
Après un rappel de deux chansons qui porte la durée de son passage à un peu plus d'une heure, Dylan ne revient pas. Le public est un peu déconcerté. Des revues pop avaient notamment contribué à laisser croire plus ou moins officiellement à cinq heures de spectacle et à une "jam-session" fabuleuse (?) et certains esprits chagrins calculent déjà qu'un "salaire" de plus de 500 livres à la minute est un peu élevé. Mais l'important reste ce changement du personnage, changement au moins apparent et qui se révèle d'un coup pour le public comme pour les autres observateurs... et qu'il est bien difficile d'assimiler, d'admettre simplement, "sur-le-champ". Dylan est loin de ces chanteurs qui s'adaptent au moment ! C'est plutôt le public qui doit tenter de le suivre dans son évolution, sans rester bloqué à une étape ou à une autre, encore que l'on puisse avoir une préférence!). "Dylan est mort" titrait, en d'autres termes, le lendemain, un journal n'ayant rien compris. Nous répondrons simplement alors "Vive Dylan".
Quant à ce Festival qui fut une si belle réussite cette année après un timide mais encourageant début l'an passé, il convient de lui souhaiter une longue carrière également. Il est utile de constater à cette occasion la "prise de conscience" qu'il a constitué pour la presse et les télévisions. Ils ont souvent considéré ce phénomène du festival de Pop Music comme nouveau, ce qui n'est pas précisément le cas ; seule l'ampleur extraordinaire des manifestations de cet été (que ce soit à Bethel, à Woodstock ou ici, à Wight) est nouvelle. Les foules de Hyde-Park en juin et juillet étaient déjà au moins égales, sans que le Français moyen — par exemple — en ait été informé !   Le contrecoup de cette récente "publicité" serait de transformer le "pèlerinage" en "tourisme" l'année prochaine. Espérons qu'il n'en sera pas trop ainsi !...                   

Steve DIXON.
(NB : La photo de Dylan ci-dessus n'était pas dans Best ! On peut la trouver avec d'autres sur ce site de The Band : http://theband.hiof.no/band_pictures/band_and_dylan.html )

Carte Best
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